Après quatre années de recherche doctorale et plus de 15 ans à évoluer au sein du secteur de l’architecture, de l’urbanisme et de la construction, il me paraît nécessaire de partager un constat : l’habitat ancien des centres-villes (avant 1948) constitue aujourd’hui un marché sous-évalué pour de nombreux professionnels.
Faisant parfois l’objet de protections du patrimoine complexes, les centres-villes sont soumis à une réglementation particulière, contraignant à l’emploi de savoir-faire spécifiques jusqu’aux aménagements intérieurs. La non-qualification des entreprises artisanales pour certaines spécificités du chantier est regrettée par de nombreux maîtres d’ouvrage.
Or, la question du renouvellement de notre bâti existant est importante à plus d’un titre.
· Importante, d’abord, si l’on considère la réduction du foncier constructible qui s’annonce, suite à un arrêt souhaité, et souhaitable, de l’étalement urbain. Nos terres naturelles et agricoles sont grignotées ainsi depuis les années 80.
· Importante, ensuite si l’on accorde du poids à l’économie des ressources et au recyclage de nos espaces construits, à l’heure où la dimension écologique transcende notre société.
· Importante, enfin, lorsqu’on relève les nombreux cas de centres-villes désertés, écartés des choix de vie de la majorité des ménages au profit du pavillon individuel en zone périphérique. L’absence de lumière, d’espaces extérieurs, les problématiques d’accessibilité et de stationnement jouent en la défaveur de ce mode d’habitation. Les artisans formés pour réaliser des travaux d’aménagement sur ces habitats contraints sont recherchés.
Par cet article, je souhaite illustrer la pertinence pour de nombreux métiers (maçons, couvreurs, menuisiers, charpentiers, spécialistes de l’isolation, ou encore du second œuvre en électricité, plomberie ou décoration) de se tourner vers le marché de l’ancien et de se former pour y accéder.
Des artisans non spécialistes
Considérant cet argumentaire, la recherche de terrain que j’ai menée entre 2014 et 2016 au sein de centres-villes anciens, patrimonialisés et protégés, me conduit à plusieurs observations.
Parmi les entreprises du bâtiment qui opèrent sur le bâti ancien, peu en maîtrisent les techniques. Leurs employés ne connaissent ni les procédures administratives qui s’y rapportent, ni les règles de construction applicables en Sites patrimoniaux remarquables ou en Périmètres délimités des abords de Monument historique par exemple. Ce manque de compétences nuit à la profession. L’instruction des demandes d’autorisation est retardée pour incomplétude du dossier, faute de fournir les notices techniques et les dessins attendus. Des difficultés lors de la réalisation des chantiers surprennent les maîtres d’œuvre et leurs clients désappointés.
Ce manquement conduit les propriétaires à se considérer « artisan d’un jour » et à réaliser les travaux par eux-mêmes, faute de trouver les perles rares. Or, pour ces maîtres d’ouvrage, les savoirs spécialisés sont tout aussi ignorés. Les circuits de matériaux anciens leur sont étrangers. Chacun s’improvise alors maçon, plaquiste, décorateur, au risque de fragiliser parfois la structure d’un bâti incompris. Et ce, quitte à entraîner une perte irrémédiable d’un bâtiment remarquable pour l’histoire urbaine de notre société.
Le tableau n’est pas heureux, noir peut-être. Mais il ne demande qu’à s’éclaircir. Car l’heure est à l’ancien !
Un contexte favorable
Le législatif et l’exécutif tendent à favoriser le marché de l’ancien.
Il faut d’abord rappeler la loi Solidarité et renouvellement urbains de 2000, qui invitait les villes à se reconstruire sur elle-même. Il aura fallu attendre mais les effets s’en font enfin sentir. Avec la densification, la surélévation, souvent en lien étroit avec un existant à réhabiliter ou à augmenter, le débat du renouvellement est ouvert.
Il faut prendre ensuite la mesure de deux actions du gouvernement Philippe en 2018 : la loi Evolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi ELAN, et le Plan Actions Cœurs de ville piloté par le Ministère de la Cohésion des territoires.
Si le premier texte déréglemente, dé-normalise et simplifie les procédures – au risque de sacrifier notre patrimoine habité dans un contexte politique malheureux –, il constitue un facteur important d’accélération de renouvellement du bâti existant, car incitatif pour la « lutte contre l’habitat indigne ». Les propriétaires bailleurs pourraient y trouver un intérêt.
Le Plan Actions Cœurs de ville vient lui en soutien des maîtres d’ouvrage propriétaires en accompagnant 222 villes de France[1] par des aides locales. En effet, l’un des axes du plan est ainsi rédigé « De la réhabilitation à la restructuration : vers une offre attractive de l’habitat en centre-ville ». Un terreau favorable pour les demandes de travaux de réhabilitation, car elles pourront être aidées financièrement.
Les savoir-faire du bâti ancien sont recherchés.
Pour une collectivité, un architecte du patrimoine exerçant en libéral ou une association telle que Maisons Paysannes de France, la recherche des savoir-faire spécialisés est ardue. Ainsi s’accordaient le 29 novembre dernier les participants au lancement du Centre de ressources de la Réhabilitation responsable du Bâti Ancien (CREBA). J’observe, il est vrai, un fossé entre des deux types d’entreprises :
· Les qualifiées et reconnues (Ecole d’Avignon, Compagnons du Devoir…), car estampillées « Monuments historiques »,
· Les entreprises toutes aussi compétentes dans leur corps de métier, mais non adaptées aux particularités de la ville ancienne.
Si les premières offrent leurs services au prix de leur expertise, les secondes ont du mal à trouver leur place, au risque de brader leur savoir-faire.
Mieux qu’une niche, il y a donc une brèche à combler. D’autant que l’absence de professionnels de l’architecture aux commandes des déclarations de travaux est une autre de mes observations. Jugeant le marché de l’ancien loin de leur formation initiale – et ils ont raison, nous y reviendrons dans un prochain article –, la loi n’obligeant le recours à un architecte qu’au-delà d’un seuil rarement atteignable dans l’existant, les architectes non spécialistes s’en écartent, souvent par choix.
Nous avons constaté une inadéquation entre un marché porteur et ceux qui se positionnent pour y répondre. Le cadre législatif est incitatif et la concurrence limitée, la balle est donc dans le camp des artisans. Et il est aujourd’hui possible, pour eux, de monter en compétences.
Des outils et des formations
Des outils pour se débrouiller
La plus-value à rechercher pour un artisan désireux d’aborder le marché des centres-villes anciens est la connaissance de l’environnement du projet.
· L’environnement bâti urbain,
· Le mode constructif du bâtiment sur lequel il intervient,
· Les pathologies du bâti auxquelles il doit répondre.
Depuis novembre 2018, le CREBA est en ligne et il constitue une ressource fabuleuse pour qui se questionne sur une réhabilitation responsable, respectueuse du patrimoine et qualifiée énergétiquement. Je vous renvoie à l’article consacré à ce centre de ressources sur notre blog.
Connaixens a par ailleurs développé un outil facile d’accès également pour accompagner la procédure administrative, un autre environnement du projet souvent méconnu des entreprises artisanales. www.ma-demande-de-travaux.com permet de choisir le formulaire CERFA adéquate. Son développement est en cours et prévoira un accompagnement au remplissage de la demande CERFA.
L’Association Savoyarde pour le Développement des Énergies Renouvelables (ASDER) – Arcanne, enfin, a produit un MOOC (une formation en ligne) sur la réhabilitation performante qui vaut le détour. Loin d’aborder la seule architecture ancienne, elle permet de maîtriser différentes problématiques techniques et énergétiques.
Des formations pour se légitimer
Au-delà de la débrouille, il y a la spécialisation. Des formations plus avancées existent.
Maisons paysannes de France propose la formation ATHEBA pro se déroulant sur 2 ou 3 jours. Des fiches téléchargeables sont mises à disposition. Les thématiques abordées sont les maisons anciennes et l’économie d’énergie, les enjeux et la réglementation, l’architecture, les ouvrages et les matériaux.
La CAPEB a également mis en œuvre le Certificat d’Identité Professionnelle (CIP) Patrimoine, sur 4 jours. Ce dernier étant certifiant, il s’obtient après constitution d’un dossier de réalisations. Les thématiques traitées sont l’histoire de l’architecture et les techniques de construction, les procédures et les acteurs de l’administration, les pratiques de la réhabilitation durable dans l’ancien.
Pour répondre à une demande moins de spécialisation que d’initiation, Connaixens a choisi de développer, au sein de l’organisme de formation Crealead, son propre parcours de formation – Dans quel patrimoine j’bâtis ? – qui propose un premier survol des thématiques traitées par le CIP Patrimoine – auquel Connaixens contribuera bientôt. Souhaitant également personnaliser la formation des artisans, Connaixens intervient également en accompagnement individualisé d’entreprises artisanales désireuses de progresser dans le parcours administratif avec l’Ami de mon permis PRO.
Il est donc possible pour tout artisan, souhaitant conquérir ce marché de l’existant, de se former à son rythme et avec la précision qu’ils souhaitent. Et une fois formé, sur qui peut-il s’appuyer ?
Des ressources et des acteurs-clés à connaître
Plusieurs aides financières accordées aux propriétaires
En tant qu’artisan, l’argumentaire pour une proposition commerciale spécialisée peut s’appuyer sur les aides que le propriétaire peut percevoir en entreprenant des travaux hautement qualifiés.
Nous répertorions ainsi en vrac – nous y consacrerons également un article plus tard –:
· Le dispositif Malraux, une défiscalisation en contrepartie d’une mise en location d’un logement pour une durée de 9 ans.
· Les aides aux propriétaires bailleurs et occupants de l’ANAH, sur conditions de revenus (les programmes Travaux Lourds ou Habiter Mieux)
· Les opérations sur des secteurs à enjeux, tels que les OPAH (Opération programmée d’amélioration de l’habitat) ou les PNRQAD (programme national de requalification de l’habitat dégradé)[2].
· Les aides dédiées à la transition énergétique du bâtiment (CITE), portées par l’ADEME.
· Les dispositifs d’aides locaux tels que les aides au ravalement obligatoire ou les aides des la Chambre de commerce et d’industrie pour les devantures commerciales (ex-FISAC).
Certains territoires, à l’image de la Communauté de communes Vallée de l’Hérault avec le plan Renovissime par exemple, créent des dispositifs d’aides cofinancés s’appliquant sur l’ensemble du territoire intercommunal. Ces plans sont en voie de se démultiplier, avec l’impact notamment du Plan national Actions cœurs de ville, financé par la Banque des territoires.
Plus que des artisans du gros ou du second œuvre, les maîtres d’ouvrages privés et publics sont en recherche d’interlocuteurs pouvant les accompagner dans leur projet. S’informer sur les dispositifs que nous évoquons ici et faire connaître ces accompagnements financiers à leurs clients peut permettre à un artisan de concrétiser son offre d’achat.
Au-delà des finances, des interlocuteurs sur vos territoires
Nous terminerons notre démonstration par un énième soutien : les professionnels peuvent être des ressources très utiles.
Les collectivités et leurs services en charge des espaces bâtis anciens sont des interlocuteurs de choix. Certaines constituent des référentiels d’artisans spécialisés ou des catalogues des chantiers distingués. Les Conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement peuvent avoir retenu comme compétence l’accompagnement à la réhabilitation de l’ancien également.
Enfin, les artisans pourront recenser les projets et les quelques maîtres d’ouvrage architectes – spécialistes du patrimoine ou non –, ou les premiers promoteurs, qui investissent le champ du bâti ancien. Des précurseurs ! Pour les trouver ? Parcourir les salons de l’immobilier, de l’habitat ou de la copropriété constitue une première piste.
Des aides financières, des soutiens locaux, de quoi parfaire cet accompagnement vers un nouveau marché porteur et accessible à qui en fait les choix !
[1] 24 communes ont été retenues en Occitanie dont Sète, Agde, Béziers, Narbonne, Carcassonne, Lunel, Alès, Bagnols-sur-Cèze, Mende ou Millau.
[2] En Occitanie : Béziers, Sète, Saint-Gilles, Perpignan.
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